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Le journal de bord apporte certains renseignements quantitatifs et qualitatifs qu’il est difficile d’obtenir par d’autres méthodes. Néanmoins, il requiert une forte implication de la part d’un panel d’utilisateurs sur une durée qui peut être longue. Voici quelques conseils pour comprendre le journal de bord, éviter les écueils et optimiser les résultats.
Qu’est-ce qu’un journal de bord en UX design ?
Le journal de bord, Diary Study en anglais, est une méthode d’évaluation ergonomique prenant en compte la dimension temporelle. L’objectif est de sonder l’expérience utilisateur du produit, application ou service, au cours du temps, grâce à un journal quotidien tenu par les participants. Les utilisateurs sélectionnés y consignent leurs activités et leur ressenti. Il est ainsi possible de récolter des données qualitatives ainsi que leur évolution au fil du temps.
Les journaux de bord permettent de mieux comprendre le contexte d’usage du produit et le ressenti de l’utilisateur au cours du temps. Entre le moment où les utilisateurs anticipent l’utilisation d’un nouveau produit et celui où ils se l’approprient, leur expérience évolue. Cet aspect est difficile à reproduire pendant un test utilisateur. Le test est court et l’environnement ne correspond pas exactement à l’usage réel du produit. Au contraire, avec le journal de bord, l’utilisateur est suivi dans son quotidien, dans une utilisation naturelle du produit. Par rapport à une interview, le risque de biais est moindre.
Le journal de bord capture de nombreuses informations susceptibles de qualifier l’expérience de l’utilisateur à différents moments de sa journée : le contexte d’usage, la fréquence d’utilisation, le ressenti face à l’application, l’état d’esprit de l’utilisateur et surtout son apprentissage du produit. Il est donc généralement utilisé pour des produits nouveaux, susceptibles de modifier notablement le quotidien de ses utilisateurs, et pour lesquels une utilisation régulière est souhaitée par les concepteurs.
Cette méthode présente l’avantage de permettre de mesurer l’apprentissage d’un produit. Elle permet de recueillir des éléments concrets sur l’activité réelle de l’utilisateur, ainsi que les stratégies d’usage particulières qu’il va pouvoir mettre en œuvre au cours du temps.
Le journal de bord UX en 4 étapes
1 – Préparation de l’étude
La première étape consiste à définir l’objectif de la recherche, la durée nécessaire et de construire le questionnaire que rempliront les participants.
Il est possible d’utiliser différents supports pour le journal : papier, application de prise de notes, formulaires en ligne, etc. Cependant, un formulaire guidé de prise de notes est l’outil le plus fréquemment employé, car il facilite le dépouillement des résultats.
Selon l’objectif de l’étude, on identifie les tâches à noter dans le journal, ainsi que la périodicité à laquelle il est demandé à l’utilisateur de fournir ces informations. Le format des questions est à la fois fermé ou semi–ouvert, via des questionnaires à choix multiples, pour pouvoir suivre systématiquement certains paramètres au cours du temps, et ouvert afin que les utilisateurs puissent s’exprimer librement de manière à recueillir des données qualitatives.
Le journal de bord comporte non seulement des questions mais aussi des consignes écrites sur la façon de répondre afin de garantir une cohérence des réponses au cours du temps et entre les différents participants.
Généralement une étude de type ‘journal de bord’ est conduite sur un échantillon de 6 à 8 utilisateurs, mais des études ont déjà été conduites avec un nombre plus important d’utilisateurs. Il faut garder à l’esprit que la complexité de l’analyse dépend principalement de la taille de l’échantillon et de la durée de l’étude.
En moyenne, les utilisateurs tiennent un journal de bord pendant au minimum 2 semaines et au maximum 2 mois. Plus l’étude dure longtemps, plus il y a un risque de désengagement des participants. Pour limiter l’impact des éventuels désistements, il est donc préférable d’augmenter le nombre d’utilisateurs lorsque l’étude est longue. Par contre, il est difficile de concevoir une étude de type journal de bord sur une durée de moins de 2 semaines, car elle ne permettrait pas d’évaluer la courbe d’apprentissage du produit.
2 – Pré-évaluation
Avant de démarrer l’étude, une fois les participants sélectionnés, il est important de s’entretenir avec chacun d’entre eux, de préférence en présentiel. Ils doivent connaître les objectifs de l’étude, son déroulement et sa durée. Cette rencontre sert à savoir s’ils pourront transmettre leurs impressions au rythme régulier prédéfini. Elle va aussi permettre de renforcer l’engagement du participant. Un essai ‘à blanc’ est conseillé pour vérifier que le matériel est adapté et que les instructions sont comprises.
Afin de motiver les participants à s’engager durablement tout au long de l’étude, des récompenses sont proposées sous forme d’une somme d’argent ou d’un cadeau en rapport avec le produit testé. Pour conserver l’engagement du participant, la récompense promise peut être donnée en plusieurs fois, à des étapes-clés du protocole.
3 – Le rythme de l’étude
La méthode consiste donc à demander aux utilisateurs d’évaluer leur expérience du produit à intervalle régulier, en général une à deux fois par jour. Dans certains cas, il peut être nécessaire d’imposer une régularité précise dans les retours, un signal est alors envoyé aux utilisateurs pour leur rappeler de remplir leur journal de bord. Mais cette façon de faire présente un aspect intrusif potentiellement dérangeant.
La difficulté est de trouver le bon équilibre pour maintenir un haut niveau d’engagement, sans se montrer envahissant. Il est également utile, au cours de l’étude, de pouvoir s’entretenir de temps en temps avec les participants, en personne ou au téléphone. C’est une manière de renforcer leur engagement et c’est aussi l’occasion de vérifier que tout se passe bien, voire de corriger une consigne mal comprise.
4 – Entretiens de débriefing et analyse des journaux de bord
À la fin de l’étude, chaque participant est invité à une session de débriefing. Au préalable, le contenu de son journal de bord sera relu afin d’en dégager les éléments importants. Cet entretien permet de clarifier certains points et/ou de compléter d’éventuelles informations manquantes.
Les journaux de bord génèrent beaucoup de données et la période d’analyse est généralement longue. À l’issue de l’analyse, il peut être intéressant de cartographier le parcours utilisateur sur l’ensemble de la période de l’étude.
La comparaison entre les expériences des uns et des autres montre clairement l’évolution du processus d’apprentissage et fait ressortir des schémas d’utilisation communs. Les points de friction liés, non seulement à l’usage du produit, mais aussi à son apprentissage, sont systématiquement mis en évidence par une étude de type journal de bord. Cette méthode permet d’identifier des améliorations concrètes et efficaces à long terme pour le produit étudié.
Quels sont les bons axes et les contextes favorables pour conduire un journal de bord ?
Si l’on cherche à comprendre des comportements et des expériences utilisateurs au fil du temps dans leur contexte, il est difficile de créer des scénarios virtuels appropriés pour recueillir ce type d’informations.
La mise en place d’un journal de bord s’avère alors être la solution pour mener une étude in situ sur le temps. Aussi faut-il se concentrer sur un axe précis (ou peut-être deux axes principaux maximum).
Dans quels contextes un journal de bord s’avère-t-il être l’outil le mieux approprié ?
Outils d’évaluation et d’exploration à long terme et sur le terrain, les journaux de bord UX sont utiles pour :
- Évaluer des prototypes en cours de développement ;
- Évaluer un service ou produit existant afin de détecter ce qui peut être amélioré ;
- Explorer les usages et habitudes des utilisateurs et d’en extraire de nouvelles conceptions pour la construction d’une nouvelle application ou d’un nouveau site.
Ce genre d’étude permettra essentiellement de mettre en lumière :
- Les habitudes ;
- les attitudes et motivations ;
- les parcours client.
Les habitudes des utilisateurs
La tenue d’un journal de bord est très utile pour comprendre des comportements de base essentiels à l’expérience utilisateur et donc, il produit une étude préalable à toute évolution.
Le journal de bord permet d’apporter des réponses à des questions telles que :
- À quel moment de la journée les utilisateurs utilisent-ils un produit ?
- Choisissent-ils de partager du contenu avec d’autres et comment s’y prennent-ils ?
L’étude extraite du journal de bord fait émerger des scénarios d’utilisation :
- Dans quelle mesure les utilisateurs utilisent-ils un produit ?
- Quelles sont leurs tâches principales ?
- Quels sont leurs flux de travail pour accomplir des tâches à long terme ?
Une fois identifiés, ces scénarios peuvent être utilisés pour tester les utilisateurs à un stade ultérieur du processus.
Attitudes et motivations des utilisateurs
En tant que vecteur d’une étude qualitative, le journal de bord UX peut comporter des questionnaires ponctuels aussi pointus que :
- Qu’est-ce qui motive les gens à effectuer des tâches spécifiques ?
- Quels sont les sentiments et les pensées des utilisateurs ?
En effet, il est difficile pour un utilisateur de répondre à ce type de questions hors contexte. La question envoyée au panel d’utilisateurs à un moment pertinent de la journée ou de la semaine a toutes les chances de recevoir des réponses réelles et probantes.
Changements de comportements et de perception face à l’application ou au site
Comme le journal de bord est un outil d’évaluation longitudinal, il permet, à travers un maillage de questions auxquelles les utilisateurs se prêtent, de concrétiser des réponses à des questions essentielles qui resteraient abstraites si elles n’étaient pas traitées dans un temps long.
Par exemple :
- Dans quelle mesure un système peut-il être appris ?
- Dans quelle mesure les clients sont-ils fidèles au fil du temps ?
- Comment les utilisateurs (ou clients) perçoivent-ils l’application ou le site après un mois, une semaine ou plus d’utilisation ? (Suivant le temps de l’étude par le journal de bord)
Baliser un parcours client cross-canal
Une capacité intrinsèque du journal de bord est de pouvoir déterminer un parcours utilisateur quotidien ou hebdomadaire entre le site ou l’application observés et la totalité des canaux de communication électroniques que l’utilisateur a en permanence à sa disposition.
- Quels sont le parcours typique du client et l’expérience de l’utilisateur cross-canal lorsque les clients interagissent avec l’application ou le site en étude ?
- Qu’utilisent-ils en dehors de l’application ou du site : courrier électronique, téléphone, sites web, applications mobiles, kiosques, médias sociaux, messageries, forum, chat en ligne ?
- À quel moment de la journée, comment et pourquoi utilisent-ils ces autres outils ?
- Quel est l’effet cumulatif de la multiplicité des points de contact entre ces outils et l’objet de l’étude ?
Cet axe de recherche peut permettre de mettre en exergue des points de frictions, des besoins de relâchements, des manques, etc.
Large ou précise l’étude UX issue du journal de bord doit être structurée
L’objectif d’un journal de bord peut être très large ou au contraire extrêmement ciblé, suivant le but de l’étude.
En règle générale, on peut dire que les études issues d’un journal de bord sont généralement structurées de manière à se focaliser sur l’un des sujets suivants :
- L’activité générale sur le site ou l’application. Il s’agit ici de comprendre comment les personnes réalisent des activités générales, comme le partage d’informations via des outils sociaux ou les achats en ligne ;
- L’activité spécifique sur le site ou l’application. Comment les utilisateurs réalisent-ils des activités spécifiques : l’achat d’un objet, la planification de loisirs, une opération professionnelle liée à leur position (dans le cadre d’une application métier) ;
- Le comportement de l’utilisateur au cours de sa journée, sur le site ou l’application et en dehors, en parallèle. Il s’agit de la collecte d’informations générales sur le comportement des utilisateurs (par exemple, l’utilisation des smartphones, les habitudes de fréquentation du web, etc.).
- Le produit ou site web : comprendre toutes les interactions avec un site (par exemple, un intranet) au cours d’un mois, par exemple.
Quelques conseils pratiques pour réussir son étude à partir d’un journal de bord
Le volume de participants et le temps de l’étude sont les deux écueils potentiels de la bonne conduite du journal de bord UX. C’est pourquoi il vous faut garder une dynamique temporelle forte.
Un trop grand nombre de participants risque d’amener un volume de résultats trop lourd à analyser. En plus de comporter un possible manque d’attentions particulières vis-à-vis de chacun. Le temps de l’étude est essentiellement dicté par l’objet de l’étude, mais là aussi, il faut être économe pour ne pas user son équipe et user les participants.
Prévoir une période de rapport appropriée
Veillez à ce que votre étude soit suffisamment longue pour recueillir les informations dont vous avez besoin, mais faites attention à ne pas concevoir une étude trop longue qui porterait une complexification ingérable. Au-delà de la lassitude, des aberrations conjoncturelles peuvent apparaître par des demandes contradictoires ou conflictuelles.
Recrutez des utilisateurs dévoués
Les utilisateurs participants doivent être intéressés par ce qu’ils font. Les récompenses ne font pas tout dans l’implication sur une période plus longue. Il convient donc d’être méticuleux dans le processus de recrutement.
Soyez franc et clair sur ce que vous attendez des utilisateurs, informez-les sur ce qu’ils doivent faire.
- Posez-leur des questions pour évaluer leur niveau d’engagement ;
- Assurez-vous qu’ils seront disponibles pendant toute la durée de l’étude.
Réalisez une étude pilote
Les études tirées de journaux de bord demandent du temps, 2 mois étant un maximum généralement admis. Il faut y ajouter le temps de la planification, de l’analyse et de la restitution.
C’est pourquoi il est recommandé de mener d’abord une courte étude pilote.
L’étude pilote n’a pas besoin d’être aussi longue que l’étude réelle et elle n’est pas destinée à recueillir des données à des fins d’analyse. Elle a pour but de tester la conception de l’étude et le matériel connexe.
- Pratiquez le processus de briefing et de débriefing des participants dès l’étude pilote. Essayez votre matériel de consignation pour vous assurer qu’il est compréhensible.
- Modifiez vos instructions et votre approche pour vous assurer d’obtenir les données dont vous avez besoin.
- Demandez aux participants pilotes de vous faire part de leurs commentaires sur le matériel et sur leur expérience du journal de bord.
Ces quelques tests pendant l’étude pilote permettront d’ajuster et d’affiner votre matériel de recherche.
Style du questionnaire du journal de bord, créativité et réactivité
Que les utilisateurs participant au journal de bord soient récompensés ou payés ne changera pas totalement leur usure au fur et à mesure des semaines. C’est pourquoi il convient dans votre démarche de varier les plaisirs, c’est-à-dire la mise en forme des questions, des questionnaires qui font partie de vos relations avec le panel d’utilisateurs.
- Personnalisez chaque demande en interpellant les personnes par leur prénom ;
- Reliez de nouvelles questions à des étapes déjà parcourues ;
- Prévoyez des quiz amusants ;
- Rythmez la semaine par des petits tips et jeux.
Soyez inventifs et valorisez vos participants
Plus vos utilisateurs tests prendront du plaisir à participer à l’étude, plus elle sera qualitative.
Soyez souple et réactif. Si par exemple vous recevez les données sous forme numérique, évaluez–les dès leur réception. Cela vous permet de poser des questions de suivi et de demander des détails supplémentaires si nécessaire, alors que l’activité est encore fraîche dans l’esprit des participants. C’est à la fois un plus qualitatif pour l’étude et une façon de faire sentir à vos participants que vous êtes attentifs à leurs réponses. C’est un plus humain évident.
Conclusion
Pour conclure. Comme on le voit, le journal de bord est un dispositif technique qui demande un investissement humain important. La personne ou l’équipe qui chapeaute l’opération doit avoir toutes les compétences humaines de l’UX designer : empathie,créativité, curiosité, plaisir à animer un travail d’équipe et une capacité d’analyse de tous les instants.
Diary Methods: Understanding Qualitative Research de Lauri L. Hyers – Janvier 2018
La recherche qualitative sur les journaux de bord est un outil unique dont les atouts le distinguent des autres méthodes de recherche. Le journal de bord donne la priorité aux événements intégrés dans le contexte et le temps, une perspective qui sert à déstabiliser les constantes, révélant l’intersectionnalité complexe de l’expérience. Au cours des derniers siècles, la mécanique de la tenue d’un journal a évolué de simples enregistrements d’éphémères à une méthode de recherche primaire. Aujourd’hui, les journaux d’archives et les journaux sollicités sont utilisés par les spécialistes des sciences sociales qui emploient une gamme de technologies de collecte de données qualitatives, quantitatives et à méthodes mixtes. Dans Diary Methods, Hyers fournit à ses lecteurs une mine de conseils et de connaissances d’experts pour assurer le succès de leurs études qualitatives sur les journaux. L’histoire du journal, du phénomène culturel à la méthode scientifique sociale, est explorée, suivie d’une discussion sur l’utilisation des journaux de bord et sollicité dans les conceptions qualitatives, la collecte et la gestion des données du journal, l’analyse et le codage qualitatifs, la composition et la rédaction du rapport du journal, l’évaluation du journal.
Notre guide de référence : UX Design et ergonomie des interfaces de Jean-François Nogier — 7e édition, Dunod
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