L’ergonomie informatique est source de productivité
Interview de Jean-François Nogier par Rodolphe Helderlé
paru dans Entreprise & Carrières n°760
Interview de Jean-François Nogier par Rodolphe Helderlé
paru dans Entreprise & Carrières n°760
Publié le : 13 novembre 2006
Auteur : Rodolphe Helderlé – Entreprise & Carrières
Résumé : Alors que les applications informatiques structurent de plus en plus les modes d’organisation des entreprises, aucune démarche n’est mise en œuvre lors de la conception du système d’information pour optimiser la productivité et le confort des utilisateurs finaux. L’ergonomie propose des méthodes pragmatiques permettant aux entreprises d’accroître la productivité de leurs outils internes en collaboration avec les utilisateurs.
Sommaire :
Régulièrement, les salariés se voient proposer de nouveaux outils informatiques : après les suites bureautiques, les ERP, arrivent les workflows, la dernière version du logiciel comptable, sans compter l’agenda électronique raccordé au téléphone portable, ainsi que le nouvel outil de gestion du temps … Désormais, le système d’information est devenu la moelle épinière de l’entreprise.
Cependant, pour que l’entreprise tire effectivement parti de son système d’information, il est nécessaire de mettre en œuvre une approche raisonnée et globale afin de comprendre la façon de travailler des salariés et de concevoir les outils en conséquence.
Entreprise & Carrières : Vous estimez que l’ergonomie des applications informatiques est insuffisamment prise en compte par les entreprises. Comment expliquez-vous cela ?
Jean-François Nogier : Je vois deux raisons. La première tient au fait que la démarche de conception des systèmes d’information est généralement descendante. Des experts porteurs des déclinaisons métiers des applications informatiques vont spécifier le besoin à partir de leur propre connaissance du domaine. Les utilisateurs n’interviennent qu’à la fin du projet, généralement lors de la recette.
Cette méthode présente un intérêt à court terme. La phase de conception semble plus courte et les développements débutent rapidement. Mais les ajustements nécessaires à la mise en œuvre sont nombreux. La phase de déploiement est difficile et la maintenance délicate. C’est pourquoi, l’approche ergonomique intègre les utilisateurs dés la conception afin d’identifier concrètement la manière d’adapter le logiciel à la façon dont il sera effectivement utilisé au final.
La seconde raison est l’absence de compétence en ergonomie dans les équipes de développement. En fait, l’ergonomie informatique est méconnue. En France, l’ergonome a souvent l’image d’un chercheur. Les formations au métier d’ergonome sont encore trop théoriques. En effet, le métier d’ergonome informatique est typiquement un métier transverse. Il nécessite une formation adaptée et pluridisciplinaire lui permettant de comprendre les différents aspects de la conception d’un produit logiciel.
E & C : Quelles sont les conséquences pour les utilisateurs et pour l’entreprise de l’approche descendante que vous évoquez ?
JF. Nogier : Le risque est de délivrer des solutions trop complexes dont la cinématique et les fonctionnalités n’ont pas été validées dans le contexte réel d’utilisation. L’appropriation de l’outil par les utilisateurs finaux est difficile. L’entreprise doit mettre l’accent sur la formation avec des surcoûts à la clé. Mais cela ne suffit pas toujours. Dans des secteurs (ex. banque, assurance) où le système d’information est un outil de vente, il arrive que certains produits ne se vendent pas car l’interface correspondante est inutilisable.
A titre d’exemple, nous avons été appelés par une administration où l’ensemble du personnel d’un service se plaignait de la nouvelle version du logiciel de saisie. Les utilisateurs souffrant de maux de tête et de troubles visuels, l’absentéisme a augmenté à tel point que le CHSCT est intervenu. La raison de ce rejet : une interface trop complexe. Dans l’année qui a suivi notre intervention, après avoir simplifié l’interface en s’appuyant sur une analyse de l’activité réelle des opérateurs de saisie, la productivité du service a doublé et les douleurs ont disparu.
E & C : Vous préconisez une approche qui s’apparente parfois au marketing au travers de « tests d’utilisabilité ». Pouvez vous nous éclairer ?
JF. Nogier : Il y a effectivement des analogies avec le marketing puisque nous testons avant la mise en production un prototype de l’application auprès d’un panel d’utilisateurs finaux. Nous parlons de « test d’utilisabilité ». Le test consiste à observer en situation quasi-réelle l’utilisation du logiciel. L’ergonome demande à l’utilisateur de réaliser des tâches précises. L’utilisateur se sert du logiciel comme il le fera plus tard, c’est à dire : seul, sans aide extérieure. Nous observons son comportement et relevons les difficultés qu’il rencontre. Ces difficultés le freinent dans la réalisation de sa tâche.
En éliminant ces freins, le logiciel est plus facile à utiliser, il semble « naturel ». Les besoins en formation sont réduits de façon notable. La productivité est améliorée car la tâche est réalisée plus rapidement. Finalement, cette démarche est apprécie des utilisateurs car les actions correctives qui en découlent contribuent à un meilleur confort d’utilisation.
La finalité de l’ergonomie informatique vise à optimiser tout à la fois la performance de l’utilisateur et son confort d’utilisation.
E & C : Internet a-t-il changé la perception de l’ergonomie par le grand public ?
JF. Nogier : Effectivement, en mettant l’informatique entre les mains de « Monsieur tout le monde », Internet a contribué à sensibiliser le grand public sur l’importance de l’ergonomie. Par ailleurs, de nombreuses entreprises « webifient » actuellement leurs applications informatiques. Pour les Directions Informatiques, l’objectif est de centraliser l’application sur un même serveur et ainsi d’en faciliter la maintenance. Généralement, les fonctionnalités sont conservées, seule l’interface doit être redéveloppée.
A titre d’exemple, nous avons été appelés par une administration où l’ensemble du personnel d’un service se plaignait de la nouvelle version du logiciel de saisie. Les utilisateurs souffrant de maux de tête et de troubles visuels, l’absentéisme a augmenté à tel point que le CHSCT est intervenu. La raison de ce rejet : une interface trop complexe. Dans l’année qui a suivi notre intervention, après avoir simplifié l’interface en s’appuyant sur une analyse de l’activité réelle des opérateurs de saisie, la productivité du service a doublé et les douleurs ont disparu.