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Qu’est-ce que le Design Comportemental ?

30/03/2021
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Qu’est-ce que le Design Comportemental ?

Illustration : Aron Vellekoop León

Le design comportemental est une approche de la conception influencée par les sciences comportementales, centrée sur les comportements humains. L’objectif est de comprendre, anticiper, voire changer le comportement et les habitudes de l’utilisateur d’un produit ou service. Lorsqu’il se fait persuasif, le design comportemental soulève des questions éthiques.

Définition du Design Comportemental

Quelle que soit sa définition, le design comportemental – Behavior ou Behavioral Design en anglais – renvoie toujours aux sciences du comportement. On entend par là une multitude de disciplines, de la psychologie cognitive à l’intelligence artificielle sans oublier l’économie comportementale (Behavioral economics) et les sciences cognitives. Les données scientifiques relatives à la formation des habitudes, à la prise de décision, etc. influencent depuis longtemps déjà les stratégies marketing.

Qu’est-ce que le Design Comportemental ?

Track user behavior and filter users – Jiang Xiaobei for Fireart Studio

Ces études ont démontré l’aspect non-rationnel et variable des comportements humains, notamment en situation économique. L’impact des biais cognitifs, le penchant au conformisme, l’influence de l’environnement, ont été analysés jusqu’à remettre en question la théorie de l’homo-économicus. Les nombreuses expériences, réalisées en laboratoire et sur le terrain, sont exploitables par les designers pour réduire les erreurs et favoriser l’adoption des produits.

Comprendre le comportement de l’utilisateur aide à concevoir le design d’un produit et l’expérience utilisateur qui en découle. Compte tenu du lien établi entre design et succès des applications mobiles et autres produits numériques, les entreprises s’intéressent aussi beaucoup au design comportemental. Les modèles comportementaux peuvent favoriser l’engagement, la fidélisation et la rétention des utilisateurs. La définition du Behavioral Design dépend toutefois du contexte. C’est un concept, une approche, une méthodologie et une boîte à outils.

Ces dernières années, avec le développement de l’intelligence artificielle, des objets connectés et des nouveaux modes d’interaction homme/machine/environnement, le design comportemental a pris toujours plus d’importance. D’après EY, l’un des Big Four, c’est l’enjeu des prochaines décennies, autant pour les entreprises que pour les individus.

Behavioral Design : l’un des trois niveaux de design émotionnel

Dans son livre “Emotionnal Design : Why We Love (Or Hate) Everyday Thing” (2004), Don Norman, l’inventeur de l’UX (User eXperience), distingue trois niveaux de design :

  • Visceral / viscéral: les réactions émotionnelles spontanées, automatiques, subjectives et inconscientes, inspirées par les qualités perceptibles de l’objet (apparence, odeur, aspect tactile, etc.)
  • Behavioral / Comportemental: Les réflexions liées à l’expérience vécue avant, pendant et après l’utilisation du produit. Les points-clés sont les fonctionnalités, l’utilisabilité, la compréhension, et la performance. Par exemple, même si l’interface de l’outil est appréciée au niveau viscéral, l’usager cessera de l’utiliser s’il ne peut pas atteindre ses objectifs.
  • Réflective / Réfléchissant: L’interprétation cognitive que l’utilisateur fait du produit en fonction de son éducation, de l’environnement, de l’influence sociale, etc.

Interaction Design Donald Norman Three Levels of Design

Source : Interaction Design : Donald Norman’s Three Levels of Design

Norman revient sur cette distinction dans la conférence TED

Norman précise : « Good behavioral design should be human-centered, focusing upon understanding and satisfying the needs of the people who actually use the product. ». En français, « Un bon design comportemental devrait être centré sur l’humain, concentré sur la compréhension et la satisfaction des besoins des gens qui utilisent effectivement le produit. »

Dans une perspective UX Design, le design comportemental est donc essentiel. En réalité, dès la fin des années 1980, Norman s’intéresse à la question à partir de la théorie des émotions et des recherches en psychologie cognitive. Cependant, son but n’est pas de modifier le comportement des utilisateurs. Or, ces dernières années, cette pratique du design vise un changement de comportement vis-à-vis d’un produit, d’un service, d’une attitude dans l’espace public, etc.

Actuellement, on rattache le Behavioral Design au professeur BJ Fogg. Ce dernier a écrit : « Technology itself doesn’t magically change behavior. People creating products need to understand how human behavior works ». « La technologie elle-même ne change pas les comportements comme par magie. Les personnes qui créent des produits doivent comprendre comment fonctionne le comportement humain. »

The Fogg Behavior Model et The Hook Model

Brian Jeffrey Fogg, est le fondateur et le directeur du Stanford Persuasive Technology Lab, devenu le Behavior Design Lab. Le spécialiste de la captology (Computers As Persuasive Technologies) a publié, en 2009, le Fogg Behavior Model (FBM). Ce FBM sert à analyser le comportement humain pour concevoir des produits, des systèmes et des services qui améliorent la vie de chacun.

The Fogg Behavior Model et The Hook Model

Source : Digital Charity Lab

Le comportement des utilisateurs repose sur trois éléments principaux :

  • Motivation / motivation: par exemple l’envie ou le besoin d’acheter tel produit sur un e-commerce
  • Ability/ aptitude, capacité : à agir, y compris lorsque l’action requiert un effort
  • Prompt/ Pousser à faire quelque chose : Ce qui incite à l’action et déclenche la réaction, comme un bouton call-to-action sur un site web

Ils doivent se produire en même temps pour provoquer un comportement. Par ailleurs, Fogg souligne que la motivation est de courte durée, d’où l’importance, pour les concepteurs, d’agir de manière à l’amplifier. Il énumère des leviers-clés de motivation et d’action chez tout être humain :

  • Chercher le plaisir, l’espoir, et l’acceptation (ou la reconnaissance)
  • Éviter la douleur, la peur et le rejet

En 2017, Fogg a légèrement modifié son modèle en : Behaviors = Motivation + Ability + Trigger (gâchette, détente, amorce…) simultanément.

L’expert en ingénierie comportementale (Behavioral Engineering) Nir Eyal, auteur du best-seller américain Hooked: How to Build Habit-Forming Products, explique le FBM dans la vidéo The psychology of how products engage us :

D’après Nir Eyal, les entreprises comme Facebook, Twitter et Instagram ont réussi à créer un besoin, et à vendre le remède correspondant. C’est ce que l’on appelle un « produit Hackaton ». Le consommateur recherche un plaisir ou un divertissement, mais l’utilisation du produit devient une habitude. S’en passer est alors source d’anxiété. Le spécialiste du design persuasif, consultant à la Silicon Valley, donne deux définitions fondamentales :

  • L’habitude (Habit): un comportement qui se produit sans – ou presque sans – cognition, parce qu’il se forme une association entre telle manière d’agir et telle émotion.
  • Le crochet ou hameçon (Hook): une expérience conçue pour proposer une solution au problème de l’utilisateur, avec suffisamment de fréquence pour déclencher une habitude.

Son Hook Framework comporte :

  • Le trigger interne (émotions, routine, modèle mental…) et le trigger externe (notifications, calls to action… et autres techniques choisies par le designer)
  • L’action, qui repose sur des facteurs tels que le temps, l’argent, l’effort, la renommée de l’entreprise, etc. Il s’agit toujours du comportement le plus simple à avoir en vue d’une récompense.
  • La récompense / reward, qui résulte de l’action. Les récompenses peuvent être de tout ordre. Dans un jeu vidéo, gagner un trophée ou changer de niveau est une récompense. Il existe également des récompenses narcissiques ou encore liées à un désir d’appartenance sociale (les likes des réseaux sociaux…)
  • L’investissement / investment désigne l’amélioration, le changement de trigger, ou l’innovation à apporter, pour donner envie à l’utilisateur de revenir.

The Hook canva

Source : Hook Canvas

Cependant, le design comportemental ne relèverait-il pas alors de la pure et simple manipulation ? C’est d’ailleurs Tristan Harris, ancien élève du Dr. BJ Fogg à Stanford, qui a attaqué les GAFAM (Google Apple Facebook Amazon Microsoft). Il les a accusés de rendre les utilisateurs dépendants aux produits numériques.

Le design comportemental est-il un design éthique ?

Les nudges sont une invention issue du Behavior Design. Il s’agit de solutions conçues grâce à l’étude des comportements des utilisateurs cibles, ou de la population générale. Ces coups de pouce servent à inciter les individus à changer de comportement. Leur caractéristique est d’être non-contraignants, mais leur aspect intrusif soulève des questions éthiques. Sille Krukow, experte en design comportemental, explique ainsi son métier dans une interview intitulée The art of social distance – nudging to a new normal

« Behavioral Design is a way of working with colors, sounds, and placement, in our digital and analog surroundings that makes the right decisions the easy ones ».

« Le design comportemental est une façon de travailler les couleurs, les sons, les placements, dans nos environnements numériques et analogiques, pour faire des bonnes décisions les plus faciles. »

Sille Krukow s’appuie ici sur les deux vitesses de la pensée étudiées par Daniel Kahneman (le système 1, intuitif, et le système 2 pour résoudre des problèmes complexes). La question étant de savoir s’il est éthique, pour le designer, de nous inciter à choisir ce qu’il considère être la bonne décision.

Les neuroscientifiques et Designers T. Dalton Combs PhD et Ramsay A. Brown ont publié l’ouvrage Digital Behavioral Design. Les premiers mots annoncent leur ambition : « Human behavior is programmable. You just need to know the code. Here we introduce Behavioral Design: a design framework for programming human behavior ». « Le comportement humain est programmable. Il suffit de connaître le code. Nous présentons ici le Design comportemental : un cadre de conception pour la programmation du comportement humain. »

Cependant, les auteurs répètent à plusieurs reprises que l’objectif business n’est pas prioritaire. D’après eux, les interventions des designers doivent être conformes à trois critères éthiques :

  • La transparence : les techniques doivent être scientifiquement validées et les gens doivent être conscients de leur existence.
  • L’alignement avec le bien commun ou le bien social: les designed behaviors doivent être bons pour l’individu, sa communauté et l’ensemble de la société.
  • L’alignement avec les désirs et attentes de l’utilisateur: l’application, le site, ou le produit doit inciter un changement de comportement souhaité par l’utilisateur.

Ils affirment que le Design comportemental est particulièrement efficace lorsque le designer et l’utilisateur recherchent exactement le même résultat.

Comment intégrer le Design comportemental dans un processus de conception ?

Dans Digital Behavioral Design, T. Dalton Combs PhD et Ramsay A. Brown proposent le modèle CAR, surtout utile, écrivent-ils, pour créer des habitudes. CAR est l’acronyme des mots :

  • Cue (signal): Ce que l’utilisateur associe à une action dans son environnement
  • Action: le comportement-clé attendu de la part de l’utilisateur
  • Reward (récompense): un merveilleux changement d’expérience utilisateur

Il existe des signaux internes (la faim, l’ennui, le stress…), externes (liés à l’environnement), ou synthétiques (construits par le Designer). À propos des actions, les scientifiques insistent sur l’importance de les adapter aux capacités et usages de l’utilisateur cible. Quant à la « récompense », plus elle est agréablement inattendue, plus les utilisateurs seront enclins à transformer l’action en habitude.

En ce qui concerne la démarche, la prise de risque, la multidisciplinarité, les méthodologies Lean ou agiles et la démarche itérative sont encouragées. Les auteurs n’oublient pas non plus l’importance de la recherche UX – études quantitatives et qualitatives – préalable. C’est un exemple de technique de conception inspirée par les sciences comportementales. Il existe beaucoup d’autres modèles.

Les étapes correspondent globalement à une démarche de conception centrée utilisateur :

  • Définir le problème avec l’équipe
  • Mener des recherches pour explorer le comportement des utilisateurs : étude ethnographiques, interviews, tests…
  • Générer des idées, les conceptualiser, faire une maquette
  • Vérifier le changement de comportement par des tests utilisateurs
  • Améliorer le produit et refaire des tests si besoin
  • Délivrer le produit au client

Le Center for Global Development propose ce design process, un parmi d’autres :

The stages of the behavorial design process

Issu du document Behavioral Design : A New Approach to Development Policy

Le métier de Behavior Designer et l’application du design comportemental

Designer comportemental est un métier encore peu connu en France. Aux États-Unis, il est moins rare de rechercher un Behavior Designer. Ce dernier peut faire carrière de différentes manières, dans les secteurs suivants :

  • Le monde universitaire
  • L’UX Design
  • Le service design
  • Le marketing
  • L’expertise-conseil auprès d’entreprises
  • La gamification (ludification)…

Etc. Ces dernières années, le Design comportemental a commencé à se développer dans de multiples domaines, dont la santé, la technologie et la recherche. Voici les principales compétences exigées :

  • Connaissances relatives aux sciences comportementales : psychologie cognitive et sociale surtout, anthropologie, théorie des organisations…
  • Maîtrise des stratégies, et outils du design
  • Capacité à utiliser les nouvelles technologies
  • Aptitude à communiquer clairement face à des personnes non-expertes

Les boîtes à outils et les techniques seront familières à tous les designers UX. On trouve des cartographies (mapping) des comportements utilisateurs, ou encore des cartes pour matérialiser la motivation, les récompenses etc. L’archétype a tendance à être plus utilisé que le persona, car les archétypes se définissent surtout par leur comportement.

Dans ce Mind The Product Talk : Behavioural Design – What, Why and How, Kat Matfield, UX Researcher, évoque les techniques, modèles comportementaux, et son toolkit :

Conclusion

Le Design comportemental se situe à l’intersection du design et des sciences comportementales. La compréhension du comportement de l’utilisateur devient un outil de conception. La mission des Behavior Designers consiste de plus en plus à améliorer des vies, au niveau individuel, organisationnel, ou sociétal. Qu’il s’agisse de concevoir des produits numériques, ou de changer des comportements en contexte réel, les designers ont une responsabilité éthique dans ce processus.

Bibliographie

Articles, Canvas et toolkits

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