Image à la Une – keep an 👁 out de studiokat – Dribbble
Dans notre article précédent (L’eye-tracking face aux méthodes ergonomiques), nous avons abordé l’eye-tracking comme une mesure objective du parcours visuel. Toutefois, s’il permet de montrer ce que voient les utilisateurs, il ne peut pas dire ce qu’ils pensent. Or pour restituer l’expérience utilisateur, il est nécessaire de mettre en évidence ce qui suscite l’intérêt et traduit la compréhension ou la satisfaction.
Un regard plutôt que de longs discours ?
L’eye-tracking ne fait qu’indiquer que certains éléments attirent davantage le regard – et potentiellement l’intérêt – que d’autres et dans quel ordre. Il est donc important de savoir ce qu’on attend de cette technique, car ce n’est pas le regard en soi qui peut dire ce que les visiteurs considèrent comme important ou pertinent lors de leur visite.
Le eye-tracking révèle ce que voit l’utilisateur, pas ce qu’il en pense
Contrairement au test utilisateur, les participants n’ont pas à « penser à haute voix » pour décrire ce qu’ils voient, comprennent ou non. Ils ne sont pas non plus interrompus par des questions de l’animateur comme « et maintenant que cherchez-vous à faire ? » ou « où pensez-vous aller en cliquant à cet endroit ? ». Si le participant vous regarde pendant le test oculométrique ou s’interrompt dans sa tâche, le test est biaisé.
La verbalisation peut certes influencer le comportement des participants et leur demander plus de temps et d’effort que lorsqu’on les laisse faire. Le test oculométrique supprime ce biais, mais le protocole nécessite que le regard et l’attention de l’utilisateur soient portés sur l’interface uniquement.
Plusieurs types d’analyses oculométriques existent, mais la localisation, la durée et l’ordre des points de fixation restent les données les plus couramment exploitées. L’eye-tracking permet notamment :
- D’objectiver les zones intéressantes pour les visiteurs : il peut être intéressant de savoir si les visiteurs seront « intéressés » par certaines zones ou certains éléments de l’interface (e.g. zones de menus, boutons, zones de texte, images). En complément, il peut être utile de savoir si ces éléments sont bien placés en vérifiant que le regard met du temps ou non à s’y fixer par exemple.
Ces zones d’intérêt peuvent donc être déterminées préalablement au test en leur attribuant éventuellement selon les objectifs du site, un pourcentage de « visibilité » ou un ordre d’importance a priori. Cette technique permet d’automatiser les analyses sans être influencé par des comportements visuels observés a posteriori et sujets à interprétation. - D’observer la fluidité d’un parcours, notamment lorsque le regard se déplace sur une page – en complément du scroll de la souris – puis sur une autre. Le parcours du regard est un indicateur efficace pour savoir si les visiteurs sont guidés par l’interface et si d’une page à l’autre le regard se déplace ou non de la même manière (patterns visuels équivalents). Dans un parcours d’achat par exemple, il y a fort à parier que les visiteurs auront une expérience utilisateur plutôt satisfaisante si leur regard se déplace au sein des zones d’informations centrales liées à l’achat de produit, plutôt que dans les zones de navigation périphériques.
Les faits ou le ressenti de l’utilisateur ?
Nombre de fixations du regard ne sont pas conscientes pour les visiteurs, car ils balaient l’écran, le scannent. Même après la réalisation d’une tâche particulière, les participants d’un test utilisateur ne pourront pas décrire très précisément la manière dont ils ont déplacé leur regard : ce qu’ils ont vu en premier, en second, etc.
Pour autant, est-ce nécessaire de savoir précisément les informations auxquelles les utilisateurs ont été le plus attentif ? Celles dont ils se souviennent ? Les plus intéressantes ? Ou au contraire celles qu’ils ont volontairement ou non négligées ?
L’eye-tracking permet de montrer des comportements trop fugaces pour être relevés par un observateur, par exemple un coup d’œil à un bouton d’action avant de commencer une tâche ou bien un bref regard d’une information clef avant de valider. Le test oculométrique montre sans conteste ce qu’a regardé l’utilisateur, même si lui ne s’en souvient pas. C’est notamment le cas des barres de navigation, peu décrites lors de la verbalisation dans un test utilisateur, ou des éventuelles hésitations avant de cliquer sur un bouton d’action. Certaines subtilités comportementales qui seraient sans doute passées inaperçues dans un test classique sont donc détectées par l’eye-tracking.
Le test utilisateur propose ce type de démarche d’une manière un peu différente. Les questions a posteriori de la réalisation d’une tâche permettent d’obtenir un grand nombre d’explications sur son comportement, ses choix, sa compréhension ou non. Les informations sont subjectives mais de qualité. Elles permettent de savoir clairement tout ce qui a participé à l’expérience utilisateur, et ce qui pourrait être amélioré pour la satisfaire davantage.
Lors du test utilisateur, le participant exprime son ressenti avec ses mots
L‘eye-tracking peut certes aider à replacer les informations nécessaires de manière plus pertinente, là où la participante a regardé. Toutefois, dans un test utilisateur, elle se serait sans doute plus rapidement retournée vers l’animateur pour exprimer ses difficultés et son incompréhension. L’échange aurait permis de savoir les informations les plus attendues et à quels endroits les placer; les informations moins utiles pour ses besoins auraient également été soulignées, permettant de revoir l’emplacement ou la mise en forme, vis à vis des informations les plus pertinentes pour elle.
Attention du regard ou du visiteur ?
Points de fixation et points d’attention ne sont pas directement liés, nous l’avons évoqué. Les comportements visuels renseignent sur l’expérience utilisateur et dans une certaine mesure, sur l’attention portée à une interface.
L’eye-tracking n’a pas attendu le Web pour se développer. Les scientifiques et les industriels s’y intéressent depuis fort longtemps, notamment parce que l’oculométrie éclaire avec objectivité sur les stratégies comportementales mises en place. C’est ainsi que de grandes marques allemandes d’automobiles par exemple cherchent à doter leurs véhicules – haut de gamme – de détection de la fatigue au volant, en se basant en partie sur les comportements du regard (e.g. durée de fixation dans une zone non-pertinent à la direction du véhicule, durée de fermeture des paupières).
D’autres mesures oculométriques plus précises sont à l’épreuve, en particulier celle de la dilatation de la pupille. En effet, en plus de varier selon luminosité ambiante ou la fatigue, la pupille se dilate et se contracte en fonction des efforts d’attention et de mémorisation. Les enregistrements en parallèle de l’activité cérébrale le confirment. Ce type de mesure complémentaire au parcours visuel permet surtout de distinguer les points de fixation associés à un réel intérêt de ceux pour lesquels l’utilisateur ne semble pas y porter pleinement son attention.
Les mesures pupillaires quant à elles, sont encore peu utilisées car sujettes à caution, notamment parce qu’elles sont susceptibles d’être influencées par d’autres facteurs que le simple degré d’attention ou d’émotion. Seul un cadre expérimental stricte permet véritablement de les exploiter à leur juste mesure.
Préconisations
- Un test par eye-tracking renseigne beaucoup sur ce qui est vu longtemps ou rapidement, et dans quel ordre. Pour autant, il est nécessaire que les utilisateurs confirment clairement la pertinence ou non des informations sur lesquelles ils se sont arrêtés, par rapport à leurs objectifs propres.
- L’eye-tracking permet de confirmer l’importance relative des différentes zones de contenus proposés. Toutefois, il est nécessaire de savoir – si possible à l’avance – ce qui peut être pertinent pour atteindre les objectifs de l’interface comme ceux de leurs utilisateurs.
- Un test oculométrique coûte plus cher qu’un test utilisateur, notamment à cause du coût du matériel. Des hypothèses claires doivent motiver ce type de mesure et les limites de la méthode doivent tout aussi être connues.
Conclusion
La méthode de l’eye-tracking propose une manière différente et plus objective d’évaluer une interface web ou logicielle, par rapport à d’autres méthodes ergonomiques.
Le test utilisateur a sans doute encore de beaux jours devant lui, compte tenu de son apport en matière d’évaluation ergonomique, de retours quantitatifs autant que qualitatifs. L’eye-tracking permet surtout de connaître la manière d’appréhender une interface, si tout ou partie des informations sont vues, et surtout si les visiteurs trouvent aisément ce qu’ils cherchent : une information, un contact, un produit ou une gamme de produits, etc.
Pour ne pas que cette conclusion vous semble trop subjective, voyez plutôt quelques arguments pour et contre. Chacun ayant sa part de nuance en termes de poids scientifique et financier…
Points forts de l’eye-tracking
Une mesure objective de ce qui est regardé et semble intéressant pour le visiteur
- Permet de distinguer les zones regardées des zones ignorées (pas besoin de demander où regarde le participant) : Une zone intéressante est longtemps et/ou fréquemment regardée (le comportement visuel montre l’intérêt pour une zone sans le verbaliser) ; Une zone inintéressante est regardée rapidement (quelques points de fixation)
- Permet d’identifier les freins à une lecture efficace et agréable (lisibilité des textes, largeurs des paragraphes, retour en arrière dans la lecture, etc.)
- Permet de connaître l’ordre de déplacement du regard sur l’interface (ce qui attire l’œil en premier, l’efficacité des déplacements dans un scénario, les zones entre lesquelles ils naviguent si elles sont bien distinctes)
- Permet de vérifier la pertinence de certains emplacements plutôt que d’autres pour un bouton, une fonction, une image, etc.
- Permet d’appréhender comment les utilisateurs recherchent l’information dans l’interface, et donc d’adapter la place des éléments en conséquence
- La calibration matériel est courte et la résolution de l’enregistrement (spatiale autant que temporelle) est suffisamment précise pour les tailles de contenu sur écran d’ordinateur.
- Dans un test utilisateur, les oculomètres – déportés – s’intègrent discrètement (ou non-intrusif) dans l’environnement informatique des participants.
- Les analyses peuvent être définies en amont de la passation des tests (i.e. zones ou informations pertinentes, parcours visuels idéaux, etc.), et en grande partie automatisées a posteriori.
Points critiques de l’eye-tracking
Une mesure insuffisante pour avoir un point de vue subjectif et qualitatif de la part des utilisateurs
- L’utilisateur peut percevoir l’information sans y être pleinement attentif (les yeux se posent rapidement dessus soit parce que l’information est attendue/évidente/attirante, soit parce qu’elle attire d’un point de vue strictement graphique) ;
- Une zone mal-faite/incomprise peut-être longtemps et/ou fréquemment regardée pour mieux la comprendre ;
- Le regard ne dit pas pourquoi il s’est posé à tel endroit (information pertinente/claire ou non ?, regard guidé par le design ?) ;
- Les zones d’intérêt ou certains parcours visuels un peu brouillon ne peuvent pas être analysés isolément et être pleinement explicites pour conclure à une expérience utilisateur efficace et satisfaisante, notamment lors de parcours entre pages distinctes (e.g. parcours d’achats) ;
- Ne permet pas de discriminer les informations perçues en vision périphérique et péri-fovéale (+/- 5° autour du point de fixation), et dont se sert le regard pour se guider entre les différentes zones et cadres de l’interface (y compris les barres de défilement latérales) ;
- Les résultats ne permettent pas de savoir concrètement ce qui est bien fait ou apprécié dans l’interface, de ce qui ne l’est pas. Les utilisateurs sont attentifs à leurs propres impressions, à leur niveau d’adhésion ou de séduction à une interface ;
- Dans un test utilisateur, l’utilisateur peut être tenté d’alterner entre l’interface et l’intervieweur, d’où une navigation non-naturelle. Ce qui oblige à cadrer le participant, les tâches qui lui sont éventuellement prescrites, et à modifier la manière de le relancer.
- La précision des enregistrements manque de robustesse pour les interfaces nomades (e.g. Smartphone, tablette) de plus en plus répandus, car disposant d’écrans de moindre taille. En outre, par définition, ce type d’interface se meut autant que les mains qui le maintiennent.
Pour aller plus loin : La démarche de test utilisateur que propose Usabilis
Lire aussi :
Public concerné : Consultants MOE, MOA, chefs de projet, designer UI, web designers, product owner, chef de projet digital.
Durée : 1 jour(s)
Prix : 590 €
Prochaines dates : 6 décembre 2024
Merci pour cet article instructif. Puisque vous montrez une des vidéos de Wexperience, je tiens à attirer votre attention sur 2 faits :
– dans la vidéo montrée, l’enregistrement du parcours oculaire n’est pas ce qui permet de détecter le défaut (d’autant plus que le défaut est plus un bug qu’un défaut d’ergonomie)
– dans notre cas, nous utilisons un écran qui permet de capturer le regard de l’utilisateur, mais le protocole utilisé est celui des tests utilisateurs. Nous n’utilisons la technologie d’eyetracking que comme une piste d’enregistrement supplémentaire de données au même titre que la voix, le visage ou les entrées claviers, etc… Dans ce contexte, cela nous permet par exemple de voir comment l’internaute fouille du regard une page. Il permet aussi par exemple de voir s’il lit vraiment un texte ou pas (mais pas de savoir ce qu’il a retenu ou compris de ce texte).
Merci de votre citation
Merci beaucoup Olivier pour ces retours d’expert.
Bonjour,
Merci pour cet article riche et étayé.
Effectivement, comme tout outil de mesure, le eye-tracking utilisé sans approche structurée est inutile, voire dangereux car ouvert à des interprétations hasardeuses basée sur des simples heatmaps, ce que certains qualifieront de “Colorful eye-tracking bullshit”.
Mais appliquée avec méthode, cette technologie apporte un éclairage unique au test utilisateur en lui donnant l’aspect non-verbal et inconscient du comportement. Les vidéos et images colorées que nous avons l’habitude de voir ici et là ne sont que des restitutions utiles pour communiquer et illustrer lors de réunions. La méthode est bien plus complète et fournit les statistiques d’observation, de temps de découverte, et de coupler ces informations avec les clics et les saisies au clavier, ainsi que les verbalisations non sollicitées et l’expression faciale du sujet. Mais avant même l’exploitation des données, il faut avoir réfléchi au scénario, à la mise en condition du test, et à la définition des indicateurs et métriques. Or, un test utilisateur avec l’intervention seule d’un enquêteur et d’une caméra vidéo, quand bien même il/elle est parfaitement rompu(e) à l’exercice, de même que l’orientation des questions ne font qu’apporter l’éclairage subjectif avec l’aspect mémorisation, totalement nécessaire, mais pas suffisant pour évaluer un comportement.
Un exemple tout simple : on utilise souvent le eye-tracking pour ce que l’utilisateur voit. Mais il est aussi judicieux d’observer ce qu’il ne regarde pas. Ce qu’il n’a pas vu, il ne peut pas le retenir. C’est un exemple parmi d’autres pour justifier l’emploi du eye-tracking dans les tests utilisateurs.
Car le eye-tracking est précisément un des multiples outils du test utilisateur. Bien loin d’exclure ou de contre-dire cette méthode qui a fait ses preuves auprès des ergonomes, le eye-tracking le complète et l’enrichit.
Je vous invite à visualiser cette vidéo http://youtu.be/tpLUkKN3AWE qui relate plusieurs articles et recherches effectuées avec cette technologie combinée avec une méthode de confrontation verbale rétrospective (connue sous le vocable RTA = “retrospective think aloud”). La déclaration orale, certes, mais a posteriori, ce qui évite le sérieux biais de parler pendant une mission : pendant un surf réel “à la maison”, on ne dit pas à voix haute ce que l’on veut faire. Cognitivement, formuler une idée et la verbaliser est bien différent que de réaliser une action sans avoir besoin de mettre des mots pour décrire celle-ci. C’est pourquoi la méthode RTA a montré son efficacité, elle se déploie ainsi:
1) faire un test eye-tracking
2) mener un entretien quali basé sur la mémorisation seule, ou mieux, stimulée avec le comportement visuel du sujet, confronté à son propre comportement. Cela nécessite une bonne maîtrise de l’entretien afin d’animer et de susciter des commentaires constructifs du sujet.
3) consolider les données recueillies de manière objective, puis de manière subjective
Je mets ces articles à votre disposition.
Bien cordialement,
Antoine
antoine.luu@tobii.com
http://www.tobii.com
Merci Antoine pour ces éclairages de spécialiste, nos lecteurs (et nous aussi) apprécieront
Bonjour,
Effectivement, je pense que l’on est d’accord sur le fait que la heatmap – ou une analyse assez rapide – et plutôt quantitative risque d’être insuffisante. C’est d’ailleurs un problème commun lié aux métriques sur le web.
Se focaliser sur ce qui n’est pas vu, ou mémorisé est à mon sens une approche plus qualitative, comme vous le soulignez tous les deux.
J’aurais quelques questions sur le sujet :
Est-il facile de croiser des itinéraires de navigation avec des métriques d’eye-tracking ?
Comment les services d’eye-tracking ou de test utilisateur peuvent-ils être employés relativement rapidement pour améliorer les créations graphiques ou les éléments de branding d’une marque ? (est-il possible d’automatiser le processus ?)
Est-il possible de mesurer la “dispersion”, je veux dire les éléments d’une interface ou page qui tendent à “perdre” l’utilisateur ?
Cordialement,
Bonjour et merci pour ce billet,
je me rends compte que les solutions d’Eye tracking pour mobiles et tablettes sont perfectibles. J’ai entre autre observé la solution de Tobii sur iPad et ce n’est pas encore au point. Avez-vous plus d’infos pour nous à ce sujet ? Des recherches encours et des produits en développement ? Merci :)