Publié le : 10 mars 2005
Auteur : Delphine Malassingne – www.nissone.com
Résumé : L’ergonomie informatique s’attache à identifier les freins qui gênent l’usage des produits interactifs. L’ergonome remédie aux problèmes d’utilisabilité, il rend le produit plus facile à utiliser. Pour mettre en évidence ces problèmes, il réalise, entre autres, des tests d’utilisabilité. Dans un projet web, l’ergonome intervient tout au long de la conception depuis l’analyse marketing jusqu’au développement du site : c’est un métier aux multiples facettes qui nécessite des formations adaptées.
Sommaire :
- Les principes ergonomiques
- Les freins à l’utilisation
- Validité des critères ergonomiques
- Le test utilisateur
- L’ergonomie du quotidien
- L’ergonomie dans un projet web
- Les formations en ergonomie
Cet interview a été également publié sur le site WebWorkers en novembre 2004
Jean-François Nogier est consultant en ergonomie. Tout au long de son parcours professionnel, il a étudié et optimisé la communication de l’homme avec la machine.
Ce sont ses recherches et les réponses qu’il a trouvées qui l’ont amené à fonder Usabilis : cabinet de conseil spécialisé en ergonomie informatique. Il accompagne ses clients dans la conception de leurs projets et enseigne également l’ergonomie informatique à Paris. Jean-François Nogier a accepté de répondre à mes questions afin de nous permettre de mieux comprendre le métier d’ergonome.
Les principes de l’ergonomie
Delphine Malassingne : Quels sont les points auxquels s’attache l’ergonomie, les grands principes de l’ergonomie – spécifiquement pour la navigation sur Internet?
Jean-François Nogier : L’ergonomie s’intéresse à la facilité d’utilisation. En ergonomie informatique, nous nous attachons particulièrement à l’usage des produits interactifs. Quel que soit le média, qu’il s’agisse de web, de logiciel, de PDA ou de téléphone mobile, nos missions visent à mesurer et à améliorer l’utilisabilité du produit. Ce concept, traduit de l’anglais usability , résume la capacité du produit à permettre à l’utilisateur de réaliser efficacement la tâche pour laquelle il a été conçu.
L’analyse de l’ergonomie de navigation sur internet ne diffère pas de celle d’un autre produit interactif : Un site doit permettre au visiteur de trouver rapidement l’information qu’il cherche, de la même manière que le produit doit permettre à l’utilisateur de réaliser facilement la tâche.
A partir de là, la tâche de l’ergonome consiste à identifier quels sont les freins, les difficultés qui vont empêcher l’utilisateur d’atteindre rapidement l’information qu’il cherche. C’est en analysant la cause de ces difficultés, qu’il détermine les manières d’y remédier et permet ainsi d’améliorer l’utilisabilité du site.
Les freins à l’utilisation
D. Malassingne : Pouvez-vous nous donner un exemple concret de « frein » que l’on rencontre sur les sites ?
JF. Nogier : Un frein c’est un problème qui ralentit l’utilisateur dans l’exécution de sa tâche. Par exemple, il ne comprend pas le libellé d’un lien et il arrive sur une page qui ne correspond pas à ce qu’il cherchait. Il doit revenir en arrière. Il perd du temps et donc de l’efficacité.
Il arrive aussi que l’utilisateur ne trouve pas le lien qu’il cherche, car celui-ci n’est pas suffisamment mis en évidence. Par exemple, sur un site de e-commerce, j’ai observé que certains utilisateurs cherchaient le lien pour afficher le contenu du panier.
Un problème que l’on rencontre fréquemment dans les boutiques en ligne est celui d’une description du produit qui ne correspond pas aux informations que recherche l’internaute. Il lui manque des renseignements qui lui permettraient de choisir. Sur un site, je me souviens par exemple, que les utilisateurs cherchaient le prix car celui-ci n’était pas suffisamment mis en évidence.
Parfois le designer pêche par excès. Des éléments visuels ou textuels masquent l’information importante aux yeux de l’utilisateur. Il doit chercher ce qui l’intéresse. Il perd donc du temps.
Le test utilisateur permet d’identifier ce type de problèmes. Ces difficultés freinent l’utilisateur dans son cheminement sur le site et contribuent à une mauvaise expérience. Au contraire, lorsque ces freins ont été éliminés, la navigation sur le site est fluide. Elle semble naturelle à l’utilisateur qui est plus enclin à revenir.
Validité des critères ergonomiques
D. Malassingne : Ces principes, comment les a-t-on mis en place ? Comment en vérifie-t-on la fiabilité, l’efficacité ?
JF. Nogier : En fait, on ne parle pas de principes mais de « critères ergonomiques ». Il s’agit d’un ensemble de critères qui vont permettre d’évaluer l’utilisabilité d’un produit interactif. Deux chercheurs français, Ch. Bastien et D. Scapin de l’INRIA, ont élaboré une liste de critères qui fait référence. Ces critères s’appuient sur le fonctionnement psycho-cognitif de l’individu. Ils sont initialement issus de l’expérience des chercheurs du domaine. Ils ont ensuite été validés par plusieurs expérimentations.
1. Guidage
1.1. Incitation
1.2. Groupement / Distinction entre items
1.2.1. Groupement / Distinction par la localisation
1.2.2. Groupement / Distinction par le format
1.3. Feed-back immédiat
1.4. Lisibilité
2. Charge de travail
2.1. Brièveté
2.1.1. Concision
2.1.2. Action minimales
2.2. Densité informationnelle
3. Contrôle explicite
3.1. Action explicite
3.2. Contrôle utilisateur
4. Adaptabilité
4.1. Flexibilité
4.2. Prise en compte de l’expérience de l’utilisateur
5. Gestion des erreurs
5.1. Protection contre les erreurs
5.2. Qualité des messages
5.3. Correction des erreurs
6. Homogénéité / cohérence
7. Signifiance des codes et dénominations
8. Compatibilité
Liste des critères ergonomiques
A dire vrai, les critères présentent l’intérêt de permettre à un ergonome expérimenté d’identifier les problèmes d’utilisabilité potentiels et donc de lever des difficultés d’utilisation par une simple analyse du logiciel. Ils nous évitent la mise en œuvre, parfois complexe, d’un test avec les utilisateurs finaux.
Toutefois, peu importe le nom qu’on leur donne et les principes auxquels ils se réfèrent, les véritables problèmes d’ergonomie sont ceux qui rendent le logiciel difficile à utiliser, ceux qui freinent l’utilisateur dans sa tâche. C’est en ce sens que le test utilisateur reste à mon avis, la meilleure manière d’évaluer l’ergonomie d’un produit interactif, car il permet d’observer les véritables problèmes que rencontre l’utilisateur lorsqu’il se sert du logiciel.
Le test utilisateur
D. Malassingne : Qu’est-ce qu’un test utilisateur ? Comment cela est-il organisé et quel genre de résultats recherche-t-on ?
JF. Nogier : Le test utilisateur consiste à observer en situation quasi-réelle l’utilisation d’un site. L’ergonome donne à l’internaute une « consigne », c’est à dire qu’il doit réaliser une tâche précise. Ensuite, l’internaute se sert du site comme il le ferait chez lui, seul, sans aide extérieure. Nous observons son comportement et relevons les difficultés qu’il rencontre.
L’organisation d’un test se fait en trois étapes. Dans un premier temps, nous identifions avec le concepteur ce qu’il souhaite évaluer par le biais du test : certaines fonctionnalités du site, le ressenti de l’utilisateur sur certains points, etc. Dans un second temps, nous recrutons les utilisateurs en sélectionnant des internautes correspondant au profil visé par le site. Puis une session de test est menée avec chaque utilisateur.
A l’issue des tests, nous présentons à l’équipe projet une synthèse des résultats, illustrée au moyen de captures d’écran, enchaînements fonctionnels d’écrans (cinématique) et verbatim d’utilisateurs. Les difficultés rencontrées par les internautes sont décrites et des recommandations sont proposées afin d’y remédier. Généralement, lors de la restitution, les solutions préconisées sont analysées, et parfois revues, afin de prendre en compte les contraintes de développement.
L’ergonomie du quotidien
D. Malassingne : En quoi l’ergonomie telle qu’elle est présente dans notre quotidien (voiture, appareils, etc.) peut-elle se retrouver dans la conception d’un site Internet ?
JF. Nogier : Les critères ergonomiques qui vont faciliter notre utilisation des objets de tous les jours : guidage, homogénéité, concision , etc. vont contribuer de la même manière à l’ergonomie des sites web.
La navigation Internet est probablement le domaine où les règles d’ergonomie de la vie de tous les jours s’appliquent le mieux. En effet, ce sont les mêmes principes ergonomiques qui vont s’appliquer qu’il s’agisse de permettre à un individu de se repérer dans une ville, dans les couloirs d’un immeuble ou sur un site web. Pour qu’il puisse se repérer, l’utilisateur doit savoir se situer par rapport au reste et comprendre par où il est passé.
La difficulté sur Internet est que l’utilisateur arrive directement sur la page qu’il cherche, à plus forte raison lorsqu’il se sert d’un moteur de recherche, sans passer par les pages intermédiaires. Contrairement au monde réel, il ne découvre pas progressivement le site dans lequel il se déplace.
L’ergonome dans un projet web
D. Malassingne : Quelle est la part de l’ergonome dans la conception d’un site Internet ? N’est-il pas amené à travailler étroitement avec d’autres intervenants ?
JF. Nogier : Au démarrage, nous intervenons généralement dans la conception d’un site en collaboration avec l’équipe marketing pour définir l’architecture de communication du site. En interviewant les futurs utilisateurs du site, nous identifions leurs attentes et leurs besoins par rapport aux services qui seront mis en œuvre sur le site. Il nous arrive également de mener une analyse ergonomique des autres sites du domaine afin de construire le design du nouveau site en évitant les erreurs des concurrents.
Nous travaillons avec le web designer à la fois sur la charte graphique et sur l’architecture du contenu du site. Sur ce dernier point, il nous arrive de mener des séances de tri par carte pour construire la structure du site du point de vue des utilisateurs.
Finalement, nous menons une série de tests d’utilisabilité avec les utilisateurs du cœur de cible afin d’identifier les problèmes d’utilisabilité avant de mettre le site en production.
Les formations en ergonomie
D. Malassingne : Comment devient-on ergonome informatique ? Existe-t-il des formations ?
JF. Nogier : Il existe assez peu de formation pour devenir ergonome informatique. Les formations les plus connues à Paris sont le DEA d’Ergonomie du CNAM, le DESS « Ergonomie et conception des systèmes de production » de Paris 1 Sorbonne et le Master d’Ergonomie d’Orsay (voir liens en bas de l’article). Il s’agit généralement de formations complémentaires à un cursus d’informatique ou un cursus de psychologie.
A mes yeux, ces formations manquent encore aujourd’hui d’ouverture. En effet, le métier d’ergonome informatique est typiquement un « métier d’interface ». Il est souvent au cœur des débats lors de la conception. C’est pourquoi, il nécessite non seulement, une meilleure compréhension des différents métiers intervenant dans la réalisation d’un produit interactif, mais aussi une sensibilité forte au coté subjectif de l’interaction.
De mon point de vue, une véritable formation d’ergonome informatique devrait également enseigner le marketing et les techniques de communication, mais aussi et surtout la création artistique et l’histoire de l’art tout comme le font les écoles de design. En effet, n’est-ce pas la finalité du métier d’ergonome que d’accompagner le designer dans la conception du produit ?
D. Malassingne : Merci beaucoup, Jean-François Nogier, d’avoir répondu à mes questions et de nous avoir fait découvrir, un peu plus, le métier d’ergonome en informatique.
Formations en ergonomie
- CNAM : Centre National des Arts et Métiers
- Université Paris I – Panthéon Sorbonne
- Master d’Ergonomie d’Orsay
Conseil UX
Usabilis propose une gamme de prestations UX dédiés à la conception des services digitaux.
Notre expertise en conception d'interface