Aller directement au contenu

Quelles sont les résistances culturelles à l’UX/UI des applications métiers ?

17/09/2019
1

Résistances culturelles UX UI des applications métiers

Les résistances culturelles à l’UX des applications métiers sont liées au regard porté sur ces solutions internes par les organisations elles-mêmes. Qui dit “résistances culturelles” dit avant tout “culture”. Historiquement, la User Experience avait moins d’importance que l’innovation technologique. Les méthodes de conception ont bien évolué depuis. Mais encore aujourd’hui, intégrer l’UX dans le projet digital n’est pas toujours perçu comme une priorité par toutes les organisations. Il faut une certaine “maturité UX” pour ne pas dissocier l’expérience utilisateur de l’innovation technologique. C’est précisément l’objet de cet article : mieux comprendre les enjeux de l’UX des applications métier.

Quelle est la maturité UX de votre entreprise ?

Si la réalisation d’une application professionnelle répond à des contraintes techniques d’une grande complexité, il ne faut pas pour autant sous-estimer les attentes des collaborateurs/employés (la fameuse expérience collaborateurs). Ne jamais oublier qu’ils seront les véritables utilisateurs de ces services, rendant d’autant plus urgente la prise en compte de l’UX dès la conception. En ce sens, on peut souligner le rôle moteur des applications BtoC qui imposent de nouveaux standards. Les applications grand public que chacun utilise au quotidien agissent comme un accélérateur du changement. Ils participent d’une nouvelle culture qui se distille peu à peu à tous les niveaux de la conception des produits et services professionnels.

Applications métier et UX, une histoire en construction

La Direction des Systèmes d’Information (DSI) était le chef d ‘orchestre des premières applications métier. L’aspect technologique primait alors sur le design. Autrement dit, la conception d’une application B2B reposait surtout sur l’alignement entre les possibilités techniques et les fonctionnalités nécessaires. L’objectif principal n’était pas d’adapter les outils informatiques aux attentes des travailleurs ni même de les rendre agréables à utiliser. D’une certaine manière, l’ergonomie était secondaire. Il n’est qu’à relire cette interview de Jean-François Nogier en 2005, pour mesurer le chemin parcouru depuis. On voit comment la refonte du site de l’Association Française d’Epargne et de Retraite (Afer) était présentée comme exemplaire en raison du suivi des principes de l’UX Design. Ce qui apparaissait à l’époque comme une innovation est aujourd’hui devenue la norme ! Incontestablement, ces dix dernières années, les entreprises ont fait davantage appel aux designers UX.

DSI UX Design

La qualité de l’expérience utilisateur, devenue primordiale pour les produits B2C, a pris peu à peu de l’importance en B2B. Il a bien fallu se rapprocher de ces niveaux d’exigence. Reste que la conception d’une application métier suppose la prise en compte de défis et enjeux spécifiques, en termes de besoins, cohérence, temps, budget, etc. L’UX des applications métier demande une compétence spécifique et une excellente connaissance du contexte industriel, ce que toutes les agences revendiquant des compétences en UX n’ont pas toujours développé.

Quels sont les enjeux ?

Les enjeux de l’UX de votre application professionnelle ne sont peut-être pas pris en compte par votre hiérarchie. En effet, les designers UX donnent de l’importance à des éléments-clés :

  • Comprendre à la fois les utilisateurs (empathie) et la réalité des processus métier (business)
  • Proposer des fonctionnalités réellement utiles pour optimiser les tâches et l’expérience des employés, sans surcharger le contenu de l’interface
  • Intégrer l’application dans un écosystème numérique et la rendre cohérente avec les outils déjà utilisés par les collaborateurs
  • Avoir un objectif de performance dès le début de la conception en travaillant aussi sur tout ce qui est invisible mais levier d’efficacité (rapidité, scalabilité, évolutivité…)

L’approche centrée utilisateur permet donc de proposer des outils métiers esthétiques et performants, qui donnent sens au travail de l’employé tout en augmentant sa productivité.

Voir à ce sujet l’article « L’ergonomie informatique est source de productivité », Interview de Jean-François Nogier par Rodolphe Helderlé paru dans Entreprise & Carrières n°760

Voir aussi la note sectorielle des enjeux des DSI de Sextant Expertise.

“Les DSI doivent résoudre une équation complexe, dont les variables sont : Maîtrise des coûts, Satisfaction des besoins « Business », Innovation IT et Sécurité. Alors que les coûts de fonctionnement IT sont dominés par les coûts « Run » existants, leur optimisation est une priorité des DSI pour réduire le coût IT total ou pour dégager des moyens pour réaliser des projets « Build ». Le parc informatique redevenant un actif stratégique, les « Métiers » reprennent une place centrale dans les processus décisionnels. La stratégie IT doit être en cohérence avec la stratégie du Groupe et des « Métiers ». Au final, les DSI font face à de nombreux défis, à la fois financiers, techniques, organisationnels et sociaux.”

Votre hiérarchie a-t-elle compris les enjeux de l’UI/UX de votre application professionnelle ?

C’est une question que tout collaborateur se pose à un moment ou un autre, consciemment ou inconsciemment. Ce point est d’autant plus sensible que l’entreprise n’a pas intégré cette nouvelle culture de conception. Donner de l’importance à l’UX de l’application métier oblige alors à repenser une organisation établie et “qui a fait ses preuves”. C’est toute une culture d’entreprise qui va se trouver bousculée si l’impulsion n’a pas été initiée par la hiérarchie.

Les freins à l’intégration d’une méthode orientée utilisateur appliquée aux applications métiers sont de plusieurs ordres. Ils peuvent être liés au choix de la direction de projet, mais aussi aux compétences des équipes de conception. Intégrer l’UX à tous les niveaux de la réalisation d’une application professionnelle ne s’improvise pas. De là l’intérêt de la formation à l’UX, ceci dit en passant… Certaines organisations sont victimes de fausses croyances. Par exemple, l’idée que l’UX compliquerait la conception, alors que c’est tout le contraire !

Il faut comprendre que tous les responsables d’entreprises, quelles que soient leurs tailles, ont des contraintes fortes qui les poussent à vouloir limiter autant que possible les ressources de temps et d’argent. C’est d’autant plus naturel que la pression est forte dans un environnement concurrentiel. De plus, le mode de travail en silos est encore fréquent alors que les méthodes UX privilégient la transversalité, le travail en équipe et l’intelligence collective, la co-conception.

Les parties prenantes d’un projet de conception ou de refonte d’une application doivent alors convaincre les décideurs. Il faut expliquer, preuves à l’appui, qu’une bonne UX impacte positivement la productivité et l’ensemble des interactions de l’entreprise, expérience client comprise. Le retour sur investissement est au cœur de l’argumentaire.

Startup et culture de l’UX

De ce point de vue, les startups font figure d’exception. Elles voient davantage l’UX comme un outil pour identifier les problèmes, rechercher des solutions ensemble, et déceler des opportunités d’améliorations. L’approche UX n’est pas perçue comme un poste de coût supplémentaire, mais un mode même de conception qui garantit au contraire de limiter les erreurs majeures qui se paieront à un moment où un autre.

Nombreuses sont les startup qui se sont approprié la fameuse formule de Tim Brown  (IDEO) : “ Échouer tôt, pour réussir plus vite “  (Design Thinking).

Lire aussi cet article : Fail Early to Succeed Sooner

Mais à trop donner d’importance à l’UX dans une culture de l’innovation, jusqu’à aller à “négliger le produit final”, ne courre-t-on pas le risque de disqualifier le design au profit de l’expérience ?

UX vs UI, une “belle expérience” contre un “joli produit” ?

Le design a longtemps souffert d’être perçu sous un angle décoratif. Il est fréquent de sous-estimer la dimension esthétique. L’UX Design est certes un facteur d’utilisabilité de l’interface utilisateur, mais les bénéfices d’un beau design ne doivent pas être négligés pour autant. Il s’agit-là bien évidemment d’une fausse opposition car il est beaucoup plus facile d’apprendre à utiliser une solution professionnelle quand cette dernière est attractive.

Plongeons-nous dans le “Blonde Dictionary“ pour revoir une énième fois cette fameuse différence entre UI et UX…

La réponse est bien évidemment la complémentarité de l’UX et de l’UI Design. Lire à ce sujet notre article : Les clés d’une collaboration UX / UI réussie

Aesthetic-Usability Effect

Aesthetic-Usability Effect

C’est la théorie dite de “l’Aesthetic-Usability Effect” identifiée par Masaaki Kurosu et Kaori Kashimura, chercheurs chez Hitachi à Tokyo, puis étudiée par Donald Norman. Autrement dit, de manière inconsciente, l’utilisateur sera plus fidèle à un produit attrayant et l’utilisera plus longtemps si le design lui plaît, y compris lorsque c’est un outil métier complexe. C’est l’une des explications du succès des produits Apple. La fidélisation de la clientèle est liée en partie au design visuel, mais aussi à la connotation culturelle de la marque. Cette dimension est souvent négligée dans les applications Business to Business. Car la dimension esthétique est souvent reléguée au second plan dans un environnement où les utilisateurs (collaborateurs, employés) sont “captifs” : ont-ils le choix d’utiliser l’application de l’entreprise ? Dans ces conditions, pourquoi investir dans le design de l’application puisqu’elle sera utilisée, quoiqu’il en soit ?

Biais de conception

A noter le biais que cela constitue pour les concepteurs, bien identifié dans cet article du Nielsen Norman Group : The Aesthetic-Usability Effect

Les utilisateurs sont plus tolérants vis-à-vis des problèmes d’utilisation mineurs lorsqu’ils trouvent une interface attrayante visuellement. Attention, cet effet peut masquer les problèmes d’interface utilisateur et empêcher la découverte de problèmes lors des tests d’utilisabilité. Il faut donc identifier les exemples d’effet esthétique / utilisabilité dans votre recherche utilisateur en observant ce que font vos utilisateurs et en écoutant ce qu’ils disent.

Lire à ce sujet : The Aesthetic-Usability Effect: Why beautiful-looking products are preferred over usable-but-not-beautiful ones.

De l’importance des tests utilisateurs !

Les freins ou objections classiques à l’investissement dans l’UX d’une application professionnelle

Alors si l’investissement dans l’expérience utilisateur d’une application professionnelle apporte autant d’avantages, pourquoi n’est-ce pas systématique ? Il y a de nombreuses raisons, mais l’une d’entre elles tient à l’importance excessive donnée à la tâche industrielle comme le montre cet article de Newflux : Mettre l’UX au cœur des applications métiers et industrielles. Il faut avoir à l’esprit que toutes sortes de processus cognitifs accompagnent et contribuent à la bonne exécution des tâches. Sans nier l’importance de la sécurité et les objectifs économiques propres à toute entreprise, il ne faut jamais oublier l’aspect purement humain.

UX Tâche et activite

Image extraite de Newflux https://newflux.fr/wp-content/uploads/2017/10/UX_Task_VS_Activite-700×394.png

L’image ci-dessus illustre la distinction entre les tâches et les activités humaines.

“La différence entre tâche et activité est essentielle. En effet, la conception d’un logiciel s’appuie sur un cahier des charges, c’est à dire des informations sur la tâche et non sur l’activité. Or, c’est dans un contexte d’activité que sera utilisé le logiciel.”

Dans le cadre professionnel comme dans celui des loisirs (ici, écouter de la musique), l’utilisateur ne se contente pas d’accomplir une tâche. L’employé a besoin que son travail soit créateur de sens. Il en va de même pour les émotions ressenties lors de l’utilisation d’une application.

Dissocier design, émotion, cognition, performance et productivité n’est pas seulement une erreur, cela s’avère contre-productif pour créer une bonne expérience collaborateur.

Etudes utilisateur : recherche et observation

C’est en cela que la phase de recherche et d’observation est essentielle. Comprendre l’utilisateur final permet de procéder au bon design d’un produit ou service. C’est encore plus évident et difficile avec une application métier précisément parce que les tâches sont spécialisées. Il faut prendre en compte les objectifs de l’utilisateur, les obstacles auxquels il est confronté, son environnement de travail, etc. Cette démarche contribuera également à l’appropriation rapide du nouvel outil digital. Avec à la clé moins de temps consacré à la formation des collaborateurs !

L’optimisation de l’UX des outils informatiques professionnels passe donc par des entretiens (étude qualitative), une cartographie de l’expérience employé, des réunions avec les équipes concernées (IT, DSI, responsable marketing, développeurs…), ainsi que les incontournables tests utilisateurs. L’objectif est de comprendre comment la solution professionnelle, la solution digitale va s’intégrer aux activités du travailleur afin d’adapter ensuite l’architecture technique. Les entreprises doivent donc accepter la conduite du changement, mais cet effort sera récompensé, qu’il s’agisse du ROI ou de la qualité de vie au travail.

Application métier ou application client : même obligation d’investissement dans la compréhension des utilisateurs

L’intérêt pour l’UX de l’application métier ne surgit souvent qu’à la fin de la gestion de projet. Dans le processus du développement d’applications. N’entend-on pas souvent : « L’expérience utilisateur de l’application métier ? Nous verrons s’il reste du temps et du budget… ». Or, outre l’aspect humain de l’approche centrée utilisateur, le gain de temps, d’argent et de profitabilité pour l’entreprise sont des faits acquis et bien documentés.

Bien sûr, les collaborateurs seront obligés d’utiliser l’application indépendamment de son design et de l’expérience qui en découle. On ne leur offre aucune autre alternative. C’est ce que souligne le designer, écrivain et consultant Robert Reimann :

« Most users of entreprise applications don’t have a choice about using them… Furthermore, the people purchasing the application may not know – or care – much about exactly how all the users will be using it ». (« La plupart des utilisateurs d’applications d’entreprise n’ont d’autre choix que de les utiliser. De plus, les personnes qui achètent l’application peuvent ne pas savoir – ou se soucier – de la manière dont les utilisateurs l’utiliseront »).

Robert Reimann

Robert Reimann – concepteur principal d’interaction chez PatientsLikeMe; Directeur fondateur et premier président de l’Interaction Design Association (IxDA); Co-auteur avec Alan Cooper de “About Face: The Essentials of Interaction Design”

Cité dans cet article : Challenges of enterprise user research

Une spécialiste du sujet, Caroline Jarrett, formule deux remarques intéressantes dans l’article d’UX Matters intitulé The differences between Entreprise and Consumer UX Design :

« When you’re working on an entreprise application, you’re designing for people who are likely to use it day in, day out. They learn it – or at least they learn the parts of it that are most relevant to their particuliar work. Efficiency starts to become a crucial consideration. » (« Lorsque vous travaillez sur une application d’entreprise, vous la concevez pour des personnes qui l’utiliseront quotidiennement. Ils apprennent à l’utiliser – ou du moins ils apprennent à se servir des éléments les plus pertinents pour leur travail en particulier. L’efficacité commence à devenir une considération cruciale »).

« Whether you’re designing an entreprise or a consumer application, you’ve got to make exactly the same investment in really understanding your users and getting them to test whatever you design ». (« Que vous conceviez une application d’entreprise ou une application client, vous devez réaliser exactement le même investissement dans la compréhension de vos utilisateurs et les amener à la tester quel qu’en soit le design »).

L’UX dans un contexte métier et industriel

Dans un contexte métier et industriel caractérisé par son aspect compétitif ainsi que ses contraintes temporelles et budgétaires, l’UX des applications devient indispensable. De ce point de vue-là, la stratégie de l’entreprise va avoir des répercussions positives ou négatives sur le cycle de vie du logiciel et sa rentabilité. Par conséquent, le contexte métier doit être pris en compte, avec une phase d’exploration des besoins (situation de travail réelle), dès le démarrage du projet de conception ou refonte.

Voici une liste non exhaustive de bénéfices à en attendre :

  • Efficacité du travail fourni par les employés
  • Bonne estimation des ressources financière et des délais nécessaires
  • Engagement des collaborateurs
  • Diminution du risque d’erreurs ou de bugs avant le prototypage
  • Facilité d’apprentissage pour les employés

Le fait de passer davantage de temps à comprendre les attentes associées aux applications en interne (comparativement aux applications B2C) entraîne donc des avantages durables. Les UX/UI Designers peuvent aider les entreprises à relever ce défi.

Conclusion

L’UX des nouveaux outils internes à l’entreprise est fondamentale tant d’un point de vue humain que dans un objectif de performance. C’est l’une des étapes clés de tout projet de conception ou refonte d’une application métier. En effet, l’insatisfaction des employés et collaborateurs et le manque d’évolutivité d’une application B2B entraîne une perte de temps et d’argent. Investir dans l’expérience collaborateur oblige les compagnies à faire face à un vrai changement organisationnel, pour ne pas dire de culture de conception. L’UX designer ou l’agence UX doivent également savoir composer avec les exigences des grandes entreprises. Venir à bout des résistances culturelles est le moyen d’aligner fonctionnalités techniques, ergonomie, business model et satisfaction des employés.

Sources :

Quel est le niveau de maturité UX de votre entreprise ?

Le design d’interaction à l’épreuve des défis du B2B

Top 5 Design Mistakes in Entreprise UX

Revisiting Entreprise UX – Things you must know

Mettre l’UX au cœur des applications métiers et industrielles

 

Lire aussi :

Un commentaire

Commentaire